Please stop explainin'
# Jakeounet
Encore une Moisson. Ma troisième en tant que Mentor. Encore une année ou je vais envoyer des gamins à la mort. Parce que les districts ont fait quelque chose que le Capitole n'a pas apprécié il y a 25 ans, et que le Capitole s'est montré capricieux quant à leur punition. Et cette année est spéciale, en plus. C'est la première expiation. Les règles changent. Le Capitole ne sait plus quoi inventer pour assouvir son besoin de sang. Mais bon, ce n'est pas dans mon caractère d'être négative. Alors même si, depuis trois ans, je sais en voyant mes tributs qu'ils ne vont pas gagner, je les aide du mieux que je le peux. Je leur donne des conseils, je leur raconte et montre ce que moi j'ai vécu, je parle à tous les sponsors potentiels. Je me donne du mal. Même si je sais que ça n'aboutira à rien. Parce que depuis 3 ans, aucun enfant du district 6 n'a gagné. Enfin bon. En soupirant, je m'allonge sur le lit qui m'est réservé à la résidence des tributs. Je suis arrivée au Capitole dans l'après-midi. Moi seule, pas mes tributs. Ils arriveront demain. Je demande toujours à venir un jour plus tôt. Ça m'aide à me poser et à être parfaitement prête à l'arrivée de mes tributs. Et puis ce n'est pas comme si je les abandonnais dans le train. Je leur laisse toutes les retransmissions des éditions précédentes. Dont la mienne. Je n'ai jamais eu honte de ce que j'ai fait dans l'Arène. Bien sûr, je me suis trouvée embarrassée lorsque j'étais devant les familles de ceux que j'ai assassinés. Et c'est normal, quand elles vous vrillent de leurs yeux qui réclament vengeance. Mais si j'ai tué ces personnes, c'est parce qu'elles m'ont attaquées. Je n'ai jamais attaqué de front, sauf à la finale. Si j'ai tué, c'est pour ne pas être tuée. C'est la seule et unique règle des Jeux de la Faim. Et en faisant visionner les éditions précédentes à mes tributs, j'espère le leur faire comprendre. Je soupire et jette un coup d’œil à ma montre, qui indique 21h37. Pas ma montre. Celle de Jake Brown, Haut-Juge des Jeux de la Faim. Vous vous demandez sûrement comment est-ce possible que moi, simple mentor du district 6, me retrouve en possession d'un objet aussi précieux ? C'est simple, c'est ce Jake qui l'a oublié dans ma chambre. Et que faisait-il dans ma chambre ? En fait, j'ai rencontré Jake lorsque j'avais 16 ans, l'année où j'étais tribut. Nous avons commencé par parler, puis, de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés dans le même lit. Il m'a enlevé ma virginité, puis est parti comme un voleur au petit matin en oubliant sa montre. Autant vous dire que je ne suis pas prête de l'oublier. Je soupire de nouveau. J'ai toujours un désagréable pincement au cœur lorsque je pense à Jake. J'aurais voulu le revoir. J'ai gardé sa montre avec moi, dans l'Arène. Je voulais qu'il l'a remarque, qu'il me remarque, et qu'il vienne me voir un jour pour la récupérer. Mais non. Niet. Nada. En trois ans, j'ai eu le temps de me renseigner sur lui. Je sais qu'il a été quitté par la femme qui partageait sa vie. Cette dernière s'est enfuie on ne sait où avec leur fille, sans raison apparente. Elle n'a en tout cas expliqué pourquoi à personne. Jake a été harcelé pendant un ou deux mois avant que les affaires se tassent. Forcément, le Haut-Juge -et neveu du Président qui plus est- qui se fait plaquer, ça fait un peu tache, et les médias en profitent. Maintenant, je comprends mieux pourquoi il avait besoin de noyer sa peine avec une petite idiote telle que moi. Car c'est comme ça que je le perçois. Il m'a utilisée, et j'ai marché. Je me lève vélocement pour cesser de penser à lui. Je décide de monter sur le toit. Un peu d'air frais me fera du bien. Et puis j'en profiterais pour me fumer une clope, ça calmera mes nerfs. J'attrape donc ma veste, mon paquet et un briquet, et je prends l'ascenseur puis l'escalier qui mènent au toit. J'arrive dans une sorte de bulle en verre, qui donne directement sur le toit plat. Bien qu'il ne soit pas si tard que ça, le soleil est déjà couché. Le ciel commence à se piquer d'étoiles, et les lumières du Capitole s'allument une à une, comme s'il la ville ne s'éveillait qu'à la nuit tombée. J'enfile ma veste et passe de l'autre côté de la porte, une cigarette à la bouche. Dès que je suis à l'extérieur, je l'allume. Je tire une bouffée et laisse mon regard se promener sur le toit. Il est plutôt mignon, et la vue est extraordinaire. J'aime bien cet endroit. Je souffle ma fumée, fais quelques pas et m'accoude à la rambarde. Je tire une nouvelle fois et laisse mes yeux traîner sur les alentours. A ma gauche, un peu plus loin, il y a une sorte de petit jardin. De l'herbe, des buissons et même des arbres. Sur un toit. On peut même s'asseoir sur le rebord du mur. Tout va bien. Je souffle et décide de m'y rendre, désireuse de m'asseoir. Alors que j'arrive en vue du jardin, une silhouette attire mon attention. Quelqu'un est assis sur le mur, me tournant le dos. Quelqu'un que je reconnais immédiatement. Ses cheveux, sa nuque, et même son dos, camouflé par un t-shirt, tout chez lui me semble familier. Je tire une nouvelle bouffée et recrache ma fumée. « Bonsoir, Jake. » Oui, c'est bien le fameux, Jake Brown, Haut-Juge et neveu du Président. A qui appartient la montre. Celui-là même. Il se retourne et vrille ses yeux bleu-verts dans les miens. Je ne saurais dire s'il est surpris, content ou ennuyé. Avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit, je serre les poings et la mâchoire et laisse ma colère, trop longtemps contenue, exploser à l'ai libre. « Alors ça va ? T'as pas eu trop de remords après m'avoir abandonné, comme Kate l'a fait avec toi ? » C'était cruel. Mais il l'a cherché. Et puis je n'ai pas pu me retenir. « Au fait, t'as oublié ça. » Je détache rageusement la montre de mon poignet et la balance dans l'herbe. Heureusement, c'est un modèle solide, et rien ne se brise. Je détourne le regard pour cacher les larmes qui emplissent mes yeux et tire une nouvelle fois sur ma clope, avant de souffler la fumée. Enflure. Je déteste perdre mon self-contrôle. Et, évidemment, je le perd quand il faudrait que je le garde. Je tire sur ma clope comme une forcenée pour retenir mes sanglots. Une fois qu'elle est finie, je la jette à terre et l'écrase, résistant à l'envie d'en prendre une autre pour calmer mes nerfs. « J'voudrais quand même savoir... » Je tousse pour cacher ma voix tremblotante. « Qu'est-ce que j'étais pour toi ? Un coup d'un soir ? Un simple jouet ? Une pauvre idiote qui t'aide à passer le cap ? Un moyen d'oublier Kate le temps d'une nuit ? » ça aussi, c'était méchant. Mais ça aussi, il l'a mérité. Je tourne de nouveau mon regard froid vers lui. « Et me mens pas s'te plaît. J'aimerais que tu m'dises la vérité, au moins une fois. Et puis je ne suis pas le genre de fille qui va aller pleurer sur son lit si tu lui dit la vérité, je veux juste savoir pourquoi. Putain mais pourquoi t'as fait ça ? » Je plante mes yeux dans les siens et serre les dents en attendant qu'il réponde.